Dan BENHAMOU *, Jean-Louis BOURGAIN **, Marc RAUCOULES-AIME ***

* Département d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital Bicêtre et Comité Analyse et Maîtrise du Risque (SFAR)
** Service d’Anesthésie, Institut Gustave Roussy, Villejuif, Comité Analyse et Maîtrise du Risque (SFAR), et Fédération Nationale des Centres de Lutte Contre le Cancer
*** Département d’Anesthésie-Réanimation Ouest, Hôpital de l’Archet 2, Nice et CFAR

Six mois après la publication en Janvier 2009 dans le New England Journal of Medicine d’une étude démontrant l’impact très positif de l’ introduction d’une checklist opératoire dans huit hôpitaux à travers le monde et dans des conditions d’exercice très différentes (1), la HAS a finalisé avec les professionnels une adaptation française de cette checklist dont l’application sera obligatoire dès janvier 2010 dans tous les sites opératoires français. Des commentaires détaillés ont déjà été publiés dans les Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation peu après la publication de l’article du New England Journal of Medicine (2-4).

Pour celles et ceux qui n’auraient pas eu le temps de lire l’article du New England Journal of Medicine, rappelons que cette étude rapporte un travail initié par l’OMS et qui a été réalisé en deux étapes successives :
1) tout d’abord phase de création de cette checklist en essayant d’identifier les étapes cruciales du processus opératoire qui peuvent avoir un impact important sur la sécurité (avant et en fin d’acte opératoire) ;
2) validation de la checklist en conditions cliniques afin d’en démontrer la faisabilité (facilité de mise en œuvre auprès des professionnels) et le bénéfice (morbi-mortalité).
Les résultats ont montré qu’après l’introduction de la checklist, la mortalité des opérés a chuté de 47%, le taux moyen passant de 1,5% à 0,8% (p<0,001). De même, les complications postopératoires ont chuté de 36%, d’un taux moyen de 11,0% à 7,0% (p<0,001). Tous les centres ont vu certains de leurs résultats s’améliorer. Six critères permettant d’identifier un gain en sécurité ont été monitorés de façon précise : a) évaluation objective et documentation du risque d’intubation difficile avant l’anesthésie, b) utilisation pour l’intubation de l’oxymètre de pouls, c) présence de 2 voies veineuses ou d’un cathéter veineux central en prévision d’un saignement > 500 ml, d) administration de l’antibioprophylaxie dans les 60 min avant l’incision quand nécessaire, e) confirmation orale avant l’incision de l’identité du patient, du libellé de l’intervention et du site à opérer, f) comptage des compresses à la fin de l’intervention quand nécessaire. Le respect simultané des six critères de sécurité augmente entre les deux périodes d’un taux moyen de 34,2% à 56,7% (p<0,001).

A la suite de ces résultats impressionnants, la décision de mettre en application en France une telle checklist a été prise immédiatement et le travail pour y parvenir mené tambour battant avec l’objectif de déployer cette checklist dans tous les établissements français à un horizon court (janvier 2010). Cette checklist doit être « utile, utilisable et utilisée » ainsi que l’a dit d’un des membres du groupe de travail. Dès février 2009, la HAS a contacté un grand nombre de sociétés savantes (incluant bien sûr la SFAR), les organismes agréés pour l’accréditation (le CFAR pour l’anesthésie-réanimation) et les fédérations hospitalières. La première étape a permis de vérifier l’adhésion de ces groupes vis à vis du projet et de préparer une version adaptée à notre pays. Deux réunions générales et de nombreux échanges électroniques ont permis à chaque discipline de donner leur avis général et de s’approprier cette checklist tandis que la HAS faisait un travail de coordination et de simplification pour arriver à un document final qui est présenté ci-après (Figure). L’un des objectifs a été de modifier la checklist originale autant que nécessaire pour la rendre adaptée aux pratiques et règlements français tout en essayant de la modifier le moins possible pour en conserver la philosophie générale. C’est ainsi que par exemple de nombreuses discussions ont abordé la nécessité de conserver les items préopératoires touchant à la vérification du matériel d’anesthésie et à la mise en place de l’oxymètre de pouls. La décision finale a consisté à retirer celui touchant à l’oxymétrie et à conserver un item décrivant la vérification du matériel d’anesthésie. Ces décisions peuvent s’expliquer de la façon suivante. En ce qui concerne l’oxymétrie, le groupe de travail a considéré que son utilisation en France était systématique et qu’il apparaissait inutile d’insister sur son emploi. En revanche et bien que nous ne disposions d’aucune information chiffrée, la qualité de la vérification du matériel d’anesthésie semble plus aléatoire. L’idée sous-jacente est de favoriser une vérification plus complète du matériel d’anesthésie, par exemple de ne pas centrer cette vérification uniquement sur le fonctionnement des parties mécanique et électronique du respirateur mais aussi d’insister sur l’importance de la vérification des tuyaux du respirateur et du matériel présent dans les salles. Un travail complémentaire sera donc nécessaire et une information des professionnels devra être mise en œuvre sur ce thème au cours des prochains mois. En d’autres termes, le choix des items conservés doit permettre d’améliorer les pratiques en adaptant la checklist au niveau de sécurité de chaque pays à l’instant où celle-ci est introduite. Une mention particulière doit être faite pour l’antibioprophylaxie. L’étude du New England Journal of Medicine a mis en évidence une réduction de la morbi-mortalité postopératoire essentiellement secondaire à la réduction des complications infectieuses. Cette question est-elle pertinente en France où l’antibioprophylaxie est un concept bien connu et une médication bien acceptée par l’ensemble des acteurs du bloc opératoire ? La réponse est cependant positive car de nombreuses études et audits, réalisés à l’échelon de services, d’hôpitaux ou de groupes d’hôpitaux ont montré que la réalisation effective (cad antibiotique adapté, au bon moment et pour la bonne durée) atteint rarement 50 % des cas, même pour les pathologies simples où le rôle de la prévention antibiotique n’est pas discutée (par exemple en orthopédie). Un renforcement de la pratique par le maintien d’un item sur l’antibioprophylaxie est donc plus que justifié en France.

La checklist introduit plusieurs notions capitales pour la sécurité : certaines sont bien connues mais pas toujours bien appliquées. Par exemple, tous les praticiens et les experts s’accordent à dire que les problèmes d’identification des patients et de côté à opérer sont au cœur des problèmes de l’hôpital et peuvent conduire à des complications dans de nombreux domaines. Il est indispensable d’insister sur cette question afin de favoriser la prise de conscience des professionnels pour que la vérification d’identité devienne un réflexe pour tous et à tout instant. Dans la checklist, l’importance et les risques encourus par une erreur d’identité ou d’erreursont considérés comme si importants que ces vérifications sont exigées à plusieurs temps.

Sur le plan anesthésique, on ne peut que se réjouir que la version française comporte une demande de vérification du risque d’inhalation lors de la phase « avant induction. » L’enquête SFAR-INSERM a encore récemment montré qu’environ 80 décès annuels sont secondaires à une inhalation péri-anesthésique, soit environ 20 % de tous les décès imputables directement à l’anesthésie (5). Dans cette enquête, la totalité des inhalations (sauf un cas) est survenue à l’induction, d’où l’importance considérable d’une vérification avant le début de l’anesthésie. Cette vérification est d’autant plus nécessaire que dans la presque totalité des cas, les pratiques anesthésiques étaient non conformes, cad n’avaient pas suffisamment pris en compte le risque d‘inhalation ou n’avaient pas été appliquées les techniques préventives reconnues. Des efforts de formation continue sur ce thème sont encore et toujours d’actualité mais l’inclusion d’un item sur le risque d‘inhalation dans la checklist est plus que bienvenue.

D’autres contrôles correspondent à un véritable bouleversement culturel comme la « pause avant incision » (time out ou briefing en anglais) qui mérite une attention toute particulière. Cette pause a pour but de permettre aux différents membres de l’équipe d’évoquer brièvement et oralement les problèmes attendus tels qu’ils sont perçus en fonction de chaque métier. Il a ainsi été montré que l’introduction de cette pause améliore la sécurité des patients en permettant d’énoncer des problèmes parfois méconnus des autres membres de l’équipe et/ou de clarifier des problèmes connus mais imparfaitement compris.

Les anesthésistes-réanimateurs ne sauraient donc dire qu’il s’agit d’une obligation règlementaire supplémentaire. Au-delà des difficultés usuelles associées à l’introduction d’une nouvelle pratique, il y a fort à parier que les praticiens vont en comprendre l’utilité et se comporteront de façon positive. Si les équipes chirurgicales font de même, un gain sécuritaire important peut être obtenu et la sécurité deviendra l’affaire de tous, au bénéfice de nos patients.

Bibliographie

1. Haynes AB, Weiser TG, Berry WR, Lipsitz SR, Breizat AH, Dellinger EP, Herbosa T, Joseph S, Kibatala PL, Lapitan MC, Merry AF, Moorthy K, Reznick RK, Taylor B, Gawande AA ; Safe Surgery Saves Lives Study Group. A surgical safety checklist to reduce morbidity and mortality in a global population. N Engl J Med 2009 ;360(5):491-9.
2. Clergue F. Standardisation – communication : deux cibles pour la sécurité des soins. Ann Fr Anesth Réanim 2009 ;28 (5) : 423-5.
3. Marty J. Qualité et sécurité des soins : une évolution ou une révolution culturelle. Ann Fr Anesth Réanim 2009 ;28 (5) : 429-30.
4. Benhamou D. La checklist opératoire est-elle un progrès significatif ? Ann Fr Anesth Reanim 2009 ;28(5):426-8.
5. Auroy Y, Benhamou D. Enquête mortalité Sfar–Inserm : analyse secondaire des décès par inhalation de liquide gastrique. Ann Fr Anesth Réanim 2009 ;28(3) : 200-5.

Ces documents ont été élaborés sous l’égide de la HAS par les professionnels représentant les structures fédératives des spécialités concernées dont l’anesthésie réanimation. Des représentants du CFAR, de la SFAR et des CLCC ont participé à sa rédaction. La mise en place de cette « barrière de sécurité » devient obligatoire à partir de janvier 2010 dans le cadre de la certification des établissements de santé. Nous vous invitons dès lors à la tester et à l’adapter à votre structure pour la rendre opérationnelle.